De la musique par des musiciens
J’ai le plaisir d’habiter dans un environnement privilégié, c’est-à-dire sans bruits parasites inhérents à notre belle civilisation moderne. Le brouhaha hallucinant, le salmigondis de sons désagréables ne m’importunent pas ou si peu que s’en plaindre serait malvenu. Comment en effet reprocher au coq sa suprématie au sérail sans faire montre d’un esprit chagrin ?

Quand les bandes d’humains se réunissent, quel que soit l’endroit, ils font du bruit, beaucoup de bruit. Ils hurlent à s’éclater les poumons pour soutenir quelques passes adroites et surpayées, ils font vroum vroum avec leurs moteurs et utilisent leur trois tons sans discernement, ils tondent la pelouse pendant votre grasse matinée, claquent la porte en rentrant la nuit, saouls comme des carnes, refont le monde haut et fort pendant votre dîner en amoureux, prennent racines tout en s’engueulant à la sortie du bar, vous font partager leur musique, là où vous ne voyez qu’un excès de décibels dysharmoniques, vous gonflent avec leur vie tandis que la vôtre vous suffit. La réalité en somme. J’ajoute quelques nuisances pour expliquer vos impôts et taxes. À savoir, les éboueurs bien avant le petit déjeuner, les livreurs de frais qui laissent tourner leur moulin, police secours qui participe au gymkhana imposé par deux trois citoyens peu enclins à respecter le code de la route, les sirènes des voitures blanches ou des camions rouges, les cloches de la cathédrale qui vous rappellent qu’un peu de religion, ça peut pas vous faire de mal. J’en oublie certainement des tartines, vivant depuis longtemps assez loin de mes congénères, j’ai certainement omis quelques bruits insanes, inopportuns et surtout parfaitement inutiles.

Mais à toute chose malheur est bon, les marchands de casques audios et de boules Quiès y trouvent leur compte. Car, paradoxe suprême, la tranquillité à un prix. Pour s’extraire d’un environnement sonore pourri, délétère et agressif, plutôt que de soigner les causes de la maladie, l’homme s’adapte et trouve un moyen pour écouter ses propres sons. Dans ce joyeux tintamarre (quasi-oxymore !), chacun s’isole dans sa camisole. Apparemment, vue la gueule des passants, cela ne les rend pas heureux mais ils s’en contente. Vous ajoutez les mobiles et le tour est joué, reste à s’amuser avec les quilles des « inattentionnés » qui traversent hors des clous.

Moi j’aime la vie parmi le pépiement des cuicuis, j’aime mêler ma musique, j’aime qu’elle se glisse dans le grand tout. J’économise l’achat du casque et la solitude qui va avec pour me baigner dans un ensemble où chaque élément est interdépendant. Ignorer ce dernier point, c’est un peu se perdre dans d’innombrables strates, trancher sa vie en bout, s’égarer sur un chemin qui, nous le savons, ne mène nulle part.

La musique en partage, entre amis, entre quatre yeux, en concert, en dansant, en s’enivrant de sonorités, en vivant. Le concept n’est pas du jour, il traverse les siècles avec bonheur, c’est l’exact contraire de la désespérance et de la solitude.
Que la fête commence !
Vautrés sur nos chaises longues, se tenant par la main, silencieux et tranquilles parmi les oliviers, nous écoutions Carmesi Guitar Duo. Savoureuse alliance de guitares où Paola Requena et Isabel Martinez nous enveloppent avec M. De Falla, Rey Guerra et quelques autres. C’est à déguster pour la finesse du jeu et le respect des compositeurs.
Avec tout un groupe nous étions partis à cheval sur nos bidets traverser une partie du vaste monde semi désertique chez les fiers Hidalgos. Une fois les bavardages du départ éteint, pour ne pas trop penser à mon cul endolori je me suis passé dans la boucle de ma mémoire Zied Zouari. Quand la technique rejoint le talent, que l’inspiration s’invite et surgit comme un miracle, vous obtenez ça :
Un soir nous avions sirotés avec des amis de passage de nombreux pousse au crime à la terrasse d’un estaminet. L’un des nôtres nous fit écouter par mobile interposé Les frères Lapompe. « All of me » pour être précis. Ce qui devait être un moment nous capta une grande partie de la soirée et je précise que l’éthanol n’était pas le seul responsable. Les frères Lapompe, c’est du cousu main, de la vie qu’elle est belle, un aspirateur à soucis.
