Mais vous êtes où ? À Hoût-si-plou
Migrant toujours, à tantôt !
Voyageur une grande partie de l’année une question m’est posée systématiquement : mais vous êtes d’où ?
Bizarre d’être catalogué géographiquement avant tout autre chose. Cela revient à dire que ce que vous faites vient après, l’endroit où vous le faites.
Chaque fois que cette question m’est posée, une ombre passe, un ressenti désagréable me hérisse le poil un court instant. Cette impression d’être migrant dès que je quitte ma commune est en fait lourde de sens et le « mais » de la question doit y contribuer. En tout cas la peur de l’autre, de l’étranger forcément différent, explique assez bien la consanguinité trouvée dans certains endroits. Après tout, entre cousins, on mange le même pain.
En y réfléchissant, nombre de mes congénères sont très satisfaits de leurs origines. Ils en sont même fiers. Fiers d’être Alsacien, Berrichon, Corse, Franc-comtois… comme s’ils en étaient responsables ! Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas être fier de sa taille, de la couleur de ses yeux, de ses cheveux, de sa peau ? Tout ceci m’agace parce que derrière la question : « mais vous êtes d’où ? », se cachent des non-dits inacceptables.
Moi qui vous parle, si ce que vous faites m’intéresse, l’endroit où vous le faites est, et, doit être secondaire. D’ailleurs quand j’écoute un peu ce que l’on me dit à propos de l’endroit de villégiature, je suis souvent sidéré par ces méconnaissances historiques, géographiques, culturelles, gastronomiques, et j’en passe, des autochtones.
Alors oui, j’habite au sud de l’Indre mais ce que j’y fais, je l’ai fait partout ailleurs. L’environnement, ce n’est pas le seul déterminant, et, je crois vraiment que si cela l’est, il y a comme un risque de sclérose. Le sud de l’Indre et sa frontière Creusoise sont assez facilement identifiables, je pourrais vous dire Saint- Plantaire et « Les cailloux qui poussent » (à voir), vous parler de Saint-Benoît-du-Sault où gîte Tarabuste Editions et ses quarante ans d’originalité diffusée dans le vaste monde (j’insiste, vous devriez faire le détour si d’aventure vous passez par là, vous me remercierez d’avoir été tarabusté) ; mais « La vallée des peintres » vous parlera davantage. Ainsi, Crozant, Gargilesse, Fresselines comme Claude Monet, Picabia vous feront dire « je vois ». Je pourrais même rajouter George Sand ou Jacques Tati histoire d’enfoncer le clou.
Pour s’extraire de notre quotidien, nous nous évadons en quelques kilomètres. Gargilessois(es) nous voilà !
En d’autre temps, je glissais dans une chanson « Tu n’as pas besoin d’aller bien loin / Vaille que vaille où que tu ailles / Tu trouveras toujours un chemin / Bordé de rêves et de rocailles ». Il suffit de franchir quelques verstes pour être dépaysé. Près de chez vous, il y a de quoi satisfaire son désir d’ailleurs. Si cela ne vous suffit pas ; le problème, c’est vous, pas l’endroit ! Changez d’angle et tout ira mieux, crénom de D… !
Ce long préambule pour vous dire au creux de l’oreille que ce qui m’a attiré chez Jean Claeys, ce ne sont pas ses origines mais ses sculptures. Disséminées par-ci par-là, il faudrait être distrait pour ne pas en faire état ou distant des « choses de l’art ».
Voyez-vous même.
Des œuvres matures, sobres, rigoureuses qui évoquent pour ma part les adjectifs les plus élogieux. Je ressens de la sympathie pour la plupart de ses sculptures et de l’émotion pour certaines. Difficile de passer son chemin (et de toutes les manières, inutile) sans en garder un supplément d’âme. Au travers de son travail, Jean Claeys a su s’approprier l’espace, le lieu, l’esprit de ce coin de terre qu’il a choisi, qu’il a conquis.
Quant aux origines de l’homme, je ne pense pas qu’elles aient une grande importance. La création répond à des pulsions qui peuvent très bien se passer de racines.
Là, ici, ailleurs … au-delà.
Alors si vous avez un créateur à la maison, posez-le ou vous voulez, tôt ou tard il créera avec ce qu’il a sous la main (« T’as pas vu le rouge à lèvres de maman, le charbon de bois de papa, le fil à tricoter de mémé ? »).
De toute manière, je n’apprécie que très modérément le potjevleesch.
Mais vous êtes d’où ?
Là où seront mes œuvres pour toujours.
Cette question me fait un truc dans l’estomac. Souvent, je ne dis pas. C’était à métro Crimée, ça sentait bizarre, mornes visages, tronches derrière les guichets, et la carte verte, pour 10 ans.
Sinon, je l’aimais beaucoup, ce sculpteur. Il m’a bien accueillie, lorsque je suis arrivée et donné des petits trucs, pour mes marionnettes. Et i c’était un très grand artiste.
Savoir d’où vient la personne est plus important que savoir ce qu’il fait. Ce qu’il fait, c’est sculpteur, mais il aurait pu être physicien ou chasseur… alors que de là où il vient, il y vient, et il n’aurait pas pu changer cela. C’est d’où il vient qui a fait l’homme, ce sont ses voyages et rencontres qui ont fait son métier. Savoir d’où vient une personne permet de parler de sa ville, de son patrimoine, d’apprendre et d’échanger. Quand je parlais avec lui, il ne me parlait pas de sculpture, il me parlait de la France et de la Belgique, de la jalousie de certains voisins, de la façon dont se voient les différents artistes du village entre eux… en gros, il aurait été bijoutier, banquier, agriculteur on aurait parlé de la même chose, de la même façon, car on ne parlait pas à un sculpteur, mais à un Belge venu vivre en France, avec une histoire, des problèmes sur sa route, puis des problèmes dus à l’âge. Un homme comme vous et moi.
Ses œuvres lui survivront bien au-delà des frontières.