Levez les yeux, vous grandirez
Si vous voulez voir un aréopage de sexagénaires avisés, assoiffés de culture et dévorés de curiosité. en apparence tout du moins, Sarlat est un bon endroit.
Ici, après une rude vie de labeur, le retraité se sent comme investi par la nécessité d’apprendre et pour la plupart c’est : – enfin ! maintenant j’ai le temps ! Parce qu’avant tu pouvais être inculte, impropre à la réflexion, bouché à l’émeri, bête à manger du foin…
Je dis toutes ces vilénies car, en effet, en règle générale, ces femmes et ces hommes que je croise n’ont pas eu de contact probant, tout au long de leur vie d’obligations tant familiales que professionnelles, avec ce qu’il est convenu d’appeler : la culture. Mon opinion s’est faite simplement en tendant l’oreille pour entendre quelques phrases préfabriquées et autres lieux communs sans appel, issus de quelques rumeurs nauséabondes comme il en est aujourd’hui.
Ces « braves gens » qui s’imaginent que tourner un bouton et boire la bonne parole d’un gourou qui lui-même a plus de gueule que de bien à propos, ont vis-à-vis de la connaissance une attitude semblable à celle qu’ils ont eue à l’égard de la planète pendant quarante ans. Une forme de mépris, un complexe de supériorité propre à tout bipède adepte de la méthode Coué qui ne remet son pied en question, pour une durée déterminée la plus courte possible, qu’une fois qu’il a en a plein les godasses.
Logique donc, que pour le reste de leur vie, ils s’acharnent à combler un vide intersidéral en mettant les bouchées doubles, voire triples à en juger certains ventrus un poil couperosés.
J’entends très bien l’autre (vous le connaissez certainement : il est bienveillant, prêt à vous rendre service et à l’occasion vous poignarder pour votre bien) qui fait la remarque avec laquelle le consensus se fait en général : – C’est mieux que rien.
N’empêche que la crasse des nouveaux venus dans ce monde un zeste plus subtil que les blagues à tonton Fernand, exaspère, a minima gêne ceux qui n’ont pas attendu la retraite pour s’ouvrir à d’autres mondes que le leur.
Mais chacun n’ignore pas ces attitudes égotistes, propres à notre monde moderne où chacun vit dans son cocon.
Alors, avant que d’utiliser quelques sentences sans appel, propos désobligeants, phrases lapidaires ; je vais étayer mes cruelles remarques avec des faits, rien que des faits. Ce qui, je le souhaite va donner à mes observations un sens, histoire de se glisser au-delà des apparences.
À l’hôtel, nous y logeons quelques jours, à l’heure des repas, chaque fois nous sommes cernés par des nantis (je me base sur le prix demandé, à juste titre je dois le dire, pour une pension complète avec vue sur le parc). Soignés, le poil blanc éclatant et lumineux quand il se reflète au soleil (quel est donc leur secret beauté ?) souvent accompagnés de dames bien tenues qui parfois, traînent au bout d’une laisse un mets chinois. Le système les a laissés prospérer et ça se voit. Après tout ; difficile d’avoir un point de vue équilibré sur cet ordre des choses.
Ça se gâte quand la mauvaise foi prend le pas sur tout et en tout. L’hôpital qui se fout de la charité, l’orgueil des gens plus aisés, l’incurie des arrogants. Avoir été con n’est pas bien gênant, pour peu qu’on soit capable de le reconnaître… j’ai essayé, je me suis trouvé nettement moins con.
Voilà l’essentiel des bribes recueillies de-ci de-là en traçant notre sillon dans la région. De fait, vous ne m’enlèverez pas de l’idée que la déliquescence de la molécule, quand elle opère dès notre plus jeune âge, a une telle longueur d’avance qu’il est difficile de stimuler le peu de neurones restés actifs.
Après avoir pourri la planète en tapant dans les ressources sans compter, on s’attendrait à voir ces jeunes vieillards un peu plus discrets quant à leurs lacunes.
Après avoir ignoré l’existence de nombreux peintres talentueux (reconnus comme tels) on s’attendrait à des avis un peu moins tranchés, plus mesurés, moins « bidochonesque » sur ces artistes ou au moins plus respectueux.
Après avoir ignoré l’histoire et l’architecture à travers les siècles, on s’attendrait à une curiosité accrue plutôt que des avis éclairés niveau caca boudin sur les fosses d’aisances.
Que nenni, que nenni, tout ça : – ça passe le temps et puis, c’est marre ; quand est-ce qu’on mange ?
Ils causent des quatrièmes de couverture quand il s’agit d’écrits, répètent aux mots prêts une critique entendue, récitent le dépliant de l’office de tourisme…
En fait Sarlat, riche de son passé et même de son présent, devrait être un lieu d’échanges culturels privilégié. Parfois c’est le cas, nous avons croisé des ceusses qui regardent l’endroit avec, un peu de hauteur. Pour les restes (le pluriel est méchamment voulu), Sarlat est l’endroit où, à chaque coin de rue, une incitation à entretenir son gros bide prend le pas sur tout. La ville où t’as la peau du ventre bien tendue et qui, entre chaque ingestion, t’offre du passe-temps de qualité pour les grands et les petits, mais au fond du fond, si tu n’as pas les yeux pour voir, le cortex aux aguets, rien n’est acquis sans donner à ton éveil une raison d’être. Et quand tu as manqué d’entraînement tout au long de ta vie, ce n’est pas gagné !
Sarlat a heureusement tout, pour séduire les gourmets et même les goinfres et, c’est ce qui la différencie des parcs d’attractions. Culture et art de vivre c’est plutôt mieux que Donald, sa petite famille et Pluto.
À table en hors-d’œuvre les châteaux, ce qu’il faut voir ABSOLUMENT, puis le prix des parkings, (honteux !) le prix des différentes entrées (du racket !) pour discuter enfin de l’essentiel : la graille. Pléthoriques critiques sur le foie gras, tout ce que produit le Périgord noir et là, les bougres ou devrais-je dire les vieilles noix, s’y connaissent. Les nourritures terrestres n’ont pas de secrets pour eux, et André Gide, c’est qui ?
Cet article à charge, injuste en partie, mais j’ai honte, pour vous dire que Sarlat est autre chose qu’un complexe nourricier.
Alors, s’il vous plaît, au lieu de regarder votre boîte à ragoût ou vos pompes pour ceux qui ont le ventre plat, pensez à lever la tête, à l’occasion la remplir.