N’oubliez pas Romain Rolland
« Jean-Christophe ! » hurlait une mère à la sortie de l’école. Un cri qui prenait le pas sur d’autres moins stridents ; il me suscita de beaux souvenirs quand, niché sous ma couette, je découvrais Romain Rolland. Ce fut une révélation, comme l’aboutissement d’une longue recherche au travers des pages et des pages insipides ou qui, tout du moins, me laissaient froid. Comme à l’accoutumée, j’exagère. Je remplace révélation par découverte et j’y adjoins réjouissante.
Mais je dois avouer qu’avant de penser à l’auteur, c’est d’abord la dame hurlante qui m’interpella. Je me demandais comment pouvait-on pousser une telle gueulante façon charretière avec une voix si peu distinguée, dans une tenue si élégante qu’elle pouvait laisser supputer un peu de raffinement. Encore un a priori idiot de ma part. Tous les exhibitionnistes qui sont postés à la sortie des écoles ne sont pas forcément vêtus d’un trench-coat !
Pourtant, quoi qu’on en dise, l’habit fait le moine. D’où ma surprise quand la dame s’égosilla pour attirer l’attention de son rejeton au prénom composé, lequel dénote, vous l’avez sans doute remarqué, une époque passée, composée d’us et coutumes qui n’ont plus de raisons d’être… ou pas.
Méfiez-vous des apparences si d’aventure en aventure vous décidez de vous fixer des règles ou d’avoir une opinion. De nos jours chacun doit en avoir une sur tous les sujets y compris ceux dont on ignore tout. Google est ton ami, l’I.A. te guidera dans le droit chemin si le codeur qui génère l’algorithme n’est pas trop idiot, bien sûr. Et ce n’est pas gagné à tous les coups, crois-moi.
Colas Breugnon fut en quelque sorte une mise en bouche. Un roman comme je les aime. Léger, simple d’accès a priori mais beaucoup plus profond qu’il y paraît. Le personnage de Colas Breugnon est attachant, il fait preuve d’un sens critique et d’un cynisme qu’il s’agisse de la religion, du pouvoir, de tout ce qui fait son époque. Petites leçons d’un paysan bourguignon du XVIIème siècle. Un homme libre à la campagne qui ne se quitte pas avant la fin du livre. Ça se lit comme un dimanche, paisiblement, un sourire au coin des lèvres.
Puis ce fut Pierre et Luce. Dans ce court récit, hélas quasiment passé aux oubliettes, la désespérance de Romain Rolland est palpable. L’humaniste pacifique, avec une écriture fine et élégante, nous offre une histoire d’amour prégnante dans un contexte de guerre. Force est de constater que ce qui se fit appeler « la grande guerre » alors qu’il ne s’agissait que d’une « grande boucherie » se prête au plaidoyer pacifiste. Impossible de ne pas être ému avec cette toile de fond qu’une apparente idylle insouciante ne fait pas oublier. Pierre et Luce est un ouvrage qui restera important pour qui le lit. Comment ne pas être sensible à cette triste histoire qui ensanglanta le début du XXème siècle ? Comment ne pas garder un pet d’optimisme quand malgré tout, les gens pensent quand même à s’aimer ?
La grande guerre ! Et pourquoi pas la der des ders ! Que l’homme devient demeuré ! Lorsqu’il se met la tête dans le sable !
Après ces deux ouvrages, j’aurai pu passer à autre chose mais, comme c’est souvent le cas dans notre vie quand une œuvre nous a séduits, une espèce d’intime conviction nous pousse à aller plus loin. Et puis, entre nous, passer à côté de ce monument eût constitué un crime de lèse-curiosité !
Jean-Christophe, que j’ai relu depuis mes jeunes années, me provoque toujours un sentiment de plénitude avec l’impression de tutoyer les étoiles. Romain Rolland ne peut s’imaginer en dehors de cette constellation littéraire tant il contribue encore et toujours à l’école de nos vies.
Jean-Christophe épopée épique en dix tomes d’un musicien génial de sa naissance à sa mort. Chef d’œuvre captivant, harmonieux, universel. La vie de Jean-Christophe Krafft a probablement permis à Romain Rolland de recevoir le prix Nobel de littérature. Ça ne se raconte pas, mais ça se vit fort bien. Un bout chaque soir avant le dodo après avoir écourté la superproduction américaine qui n’en finit plus, tu verras comme la vie devient belle pour peu que…
Petit aparté
Comme me disait l’autre « Ah, mon pauvre Bob ! en donnant le Nobel à Dilane (la prononciation laisse supposer la faute d’orthographe) il a du coup perdu toute valeur littéraire ! » je crois même qu’elle a ajouté « Non mais ! »
L’autre, écrivaine de renom dans son village, n’a pourtant rien écrit qui puisse s’assimiler à de la littérature. Pour préciser, je ne pense pas qu’il suffise d’écrire une rédaction scolaire, un compte-rendu ou répandre sans pudeur sa misérable vie pour commettre un roman ou toute autre forme d’écrits. Petit coup de sang subséquent aux bouses que j’ai dû lire (la plupart en diagonale, l’honnêteté m’incite à le préciser) avec ma méthode de choix « au hasard ».
Et puis, j’en ai un peu marre de ces « lumières » écriveuses sans expérience qui se contentent de rewriter (« cherche pas, c’est français ») Wikipédia ou ce que leur a soufflé l’I.A. sans oublier le guide bleu pour les visites ; j’ajoute pour faire bonne mesure les reportages sommaires des influenceurs.
Notre monde plastifié, assailli d’informations sans intérêt tout le long de la journée, nous empêche de faire fonctionner notre boîte à idées. Il m’effraie (« et ça, c’est pas chouette ! »). Les années à venir, on vous expliquera comment vivre, ce que vous devez aimer et qui, ce que vous devez consommer, dans quelle catégorie, vous devez vous ranger, où est votre voie… ce monde vous laissera sans voix. Rêver deviendra une faute d’inattention et la poésie s’effacera au profit d’automatismes, d’artifices fades, insipides et, j’en suis persuadé, mortifères. Alors merde, laissons-nous vivre à l’ombre de nos intuitions ; savourons nos envolées lyriques et rions de tout ; pendant que cette « merveilleuse » I.A. incite le bon peuple à vivre de grands riens, bien creux, exsangues, vides de sens, sans pensées propres, sans trouvailles et sans désirs d’humains. Avant que les flammes qui consument le temps quand il est éternel, ne s’éteignent à jamais.
Quant aux écrivassiers prenez votre plume, soyez les instigateurs de vos écrits, sinon adieu le monde des fées, des lutins. Adieu, le sel !
Oh… je vais le relire !